Le pape, le retour

Lectures:
Début de l’article Papauté du Dictionnaire encyclopédique d’histoire Mourre.
Dictature argentine: la face obscure du nouveau pape François. Golias Hebdo n°279
Musiques:
Extraits de la BO du film Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, de Jean Yanne.
Mix Hardtek final: Cépage FKY (Cubi01), FKY Laboutik01, FKY Modular02.
Voix de Coluche, les Deschiens, Pierre Desproges.Chasseurs-180313-SpécialePapeFrançois

L’article de Golias, en réponse à toutes les dénégations fort peu argumentées (en résumé, il faut gober: « ce n’est pas vrai puisque je vous le dis »), et qu’elle viennent d’un prix Nobel ne change rien sur ce point, visant à disculper le pape.

On peut trouver le ton de l’article, et certains commentaires, notamment la conclusion, ouvertement anti-cléricaux, mais je n’ai pas trouvé dans la presse de réfutation des faits ici énoncés. (Voir aussi les adresses pour 2 autres articles, Dans Courrier International et Le Grand Soir, à la suite de celui-ci.)

On s’est plu, dans la presse, à souligner l’humilité du nouveau pape. N’avait-il pas, en 2005, laissé entendre qu’il ne voulait pas être élu, alors qu’il avait recueilli une quarantaine de voix, soit un tiers des votants ? La réalité est sans doute bien différente. Cette année-là, la Cour constitutionnelle argentine déclarait anticonstitutionnelles les deux lois d’amnistie de 1986 et 1987 promulguées sous la présidence de Raul Alfonsin (1983-1989). Les poursuites avaient repris après l’arrestation du dictateur chilien Augusto Pinochet à Londres en octobre 1998, et incité les organisations des droits de l’homme et les associations de disparus à obtenir vérité et justice hors de l’Argentine. En 2003, le président Nestor Kirchner avait abrogé certains décrets d’amnistie sur la non-extradition des militaires argentins. Et lorsque deux ans plus tard, la Cour constitutionnelle ouvrait la possibilité de nouveaux procès, la situation risquait de devenir délicate pour tous ceux qui avaient collaboré à la dictature.

Deux jours après le coup d’Etat du 24 mars 1976, Henry Kissinger déclarait vouloir aider les militaires, et le 27 mars le Fonds monétaire international accordait un prêt de 127 millions de dollars à la junte. Les enlèvements se multiplient dans les lycées, les centres universitaires, les syndicats, tandis que les prêtres ouvriers impliqués socialement dans les bidonvilles de Buenos Aires sont persécutés. Dès lors, l’Eglise argentine sera perçue comme un soutien actif de la junte militaire. L’île du Silence, propriété de l’Eglise d’Argentine mise à la disposition de la junte, représente le cas unique d’un domaine religieux transformé en camp de concentration. L’avocat Emilio Mignone Fermin, décédé en 1998, évoque son rôle dans son livre Iglesia y dictadura, Eglise et dictature, édité en 1986. Sur les quatre-vingts évêques qui composaient le corps épiscopal,seuls quatre ont eu une attitude de franche opposition affirme Mignone. Fondateur du Centre d’études juridiques et sociales, ONG qui milite pour les droits de l’homme, il cite Jorge Bergoglio, alors Provincial des jésuites depuis le 31 juillet 1973, comme exemple de la « complicité ecclésiastique » avec les militaires qui « se sont chargés d’accomplir le sale travail de nettoyer la cour intérieure de l’Eglise, avec l’acquiescement des prélats ». De nombreux prêtres furent eux aussi très proches des militaires, soutiraient des confidences des prisonniers et les poussaient à dénoncer leurs compagnons. Le délégué du pape en Argentine, Pio Laghi lui-même, se rendit sur une base militaire,y donna la bénédiction papale aux chefs et aux groupes armés, et déclara qu’”on avait à respecter le droit tant qu’on le pouvait”. Son nom était publié en 1984 dans une liste de vingt prêtres accusés de complicité avec les génocidaires, sur la base de témoignages recueillis par la Commission nationale sur la disparition des personnes.

Des pasteurs livrés aux loups

La face obscure du nouveau pape est plus particulièrement mise au jour dans l’enlèvement par la Marine argentine, de deux jésuites placés sous son autorité, Orlando Yorio et Francisco Jalics, en raison de leurs activités missionnaires dans les bidonvilles. Le 23 mai 1976, deux mois après le coup d’Etat, ils étaient conduits à l’Ecole supérieure de mécanique de l’armée, torturés et maintenus en détention durant cinq mois. L’affaire est racontée par le journaliste Horacio Verbitsky, aujourd’hui président du Centre d’études juridique et sociales,dans El Silencio (éd. Sudamericana, 2005). Une semaine avant l’enlèvement des deux jésuites, leur charge de prêtres leur avait été enlevée, signal pour les militaires qu’ils étaient des subversifs. Le Père Yorio avait appris de la bouche de ses tortionnaires,qu’il avait été dénoncé par son provincial, Jorge Bergoglio. Dans Iglesia y dictadura, Emilio Mignone conclut en se demandant ce que retiendra l’histoire de ces bergers qui ont livré leurs brebis aux loups sans les défendre.

Après sa libération, Yorio s’était rendu à Rome où le jésuite colombien Candido Gavina lui apprenait, selon une source de l’ambassadeur argentin près le Saint-Siège, que les forces armées l’avaient arrêté avec Jalics suite à une plainte de leurs supérieurs religieux qui les présentaient comme des guerilleros. Information que l’ambassadeur devait confirmer par écrit. Jalics se réfugia par la suite aux Etats-Unis. Bergoglio s’opposa à son retour en Argentine et le fit bien savoir aux évêques argentins qui auraient pu l’accueillir dans leur diocèse, non sans conseiller au directeur national du culte catholique de refuser sa demande de passeport. « Nous étions démonisés, questionnés par notre propre institution et accusés de subvertir l’ordre social », a témoigné Orlando Yorio, décédé en 2000 en Uruguay. Lors du procès de la junte, en 1985, il avait en outre déclaré : «Je suis sûr qu’il (Jorge Bergoglio) a fait une liste avec nos noms à la Marine. » Beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur le rôle de Jorge Bergoglio dans la disparition de nombreux jésuites et d’opposants catholiques considérés comme marxistes. Un rapport de la Side, agence de renseignements spécialisée dans le suivi des acteurs ecclésiastiques de  l’époque, conservé dans un fichier la Chancellerie,soutient que Bergoglio se proposait de nettoyer la Compagnie des « jésuites de gauche ».

Un autre aspect du parcours de Jorge Bergoglio concerne ses liens avec Emilio Eduardo Massera, un membre de la junte accusé de violations de droits humains, assassinats, tortures, séquestration et disparition de mineurs… Egalement membre de la logeP2 dirigée par Licio Gelli, comme devait le révéler la liste découverte par la police italienne en 1981. Le 25 novembre 1977, le provincial des jésuites Jorge Bergoglio lui décernait le titre de docteur honoris causa, lors d’une cérémonie publique à l’université jésuite del Salvador à Buenos Aires.Les documents relatifs à cette distinction ont disparu mystérieusement, sans doute parce que s’y trouvaient les signatures de ceux qui l’avaient proposée et les motivations d’un doctorat à un génocidaire. Des représentants de la garde de fer, qui avaient d’excellents rapports avec Massera et au sein de la quelle militait Bergoglio dès 1972, étaient montés sur l’estrade pour lui rendre hommage. Après sa nomination comme Provincial des jésuite en 1973, une des premières décisions de Bergoglio avait été de remettre l’université del Salador à une association civile formée par des laïques militants de la puissante organisation paramilitaire, avant d’y installer, à la fin de l’année 1974, deux de leurs dirigeants: Walter Romero et Francisco Cacho Pinon désigné au poste de recteur.

Silence radio

Le passé pour le moins trouble de Jorge Bergoglio ne l’a pas empêché de gravir tous les échelons. Il est nommé évêque auxilliaire de Buenos Aires par Jean-Paul II en 1992,coadjuteur du diocèse en 1997, archevêque en 1998 après la mort du cardinal Quarracino,un ultra-conservateur qui l’avait toujours soutenu, et enfin cardinal en 2001. Devenu cardinal, l’ancien Provincial de la Compagnie de Jésus (jusqu’en 1979)avait cru bon de redorer son blason dansle livre El Jesuita, conversaciones con elcardenal Jorge Bergoglio, signé par Sergio Rubin et Francesca Ambrogetti. Dans ce qui apparaît comme une biographie de commande, Bergoglio affirme qu’il avait fait tout son possible pour protéger les deux jésuites arrêtés en 1976, mais sans véritablement convaincre. L’année 1979 entame une période obscure dans la vie de Bergoglio. Selon l’histoire officielle, il terminait une thèse en Allemagne, mais d’autres sources avancent qu’il était claustré, en guise de châtiment, dans un couvent jésuite européen.Toujours est-il qu’en 1988, il était confiné dans une paroisse de la province de Cordoue où il se contentait de donner la messe et d’entendre en confession. Pour sa part, il n’a jamais voulu se présenter en justice et argué qu’il était malade à Cordoue.Un peu plus tard, en 1992, cette assignation à résidence était interrompue après sa nomination comme évêque auxilliaire de Buenos Aires. Un retour de faveur qui peut étonner et soulève de nombreuses questions. En novembre 2010, Jorge Bergoglio avait accepté d’être interrogé comme témoin par des magistrats à l’archevêché de Buenos Aires, dans le cadre d’un procès sur les crimes commis pendant la dictature. Bergoglio avait nié toute implication et affirmé avoir interpellé le chef de la junte militaire Jorge Videla pour obtenir la libération des deux jésuites enlevés en 1976.En précisant qu’ils avaient abandonné leur charge de prêtres de leur propre volonté.Le nom de Bergoglio est également cité dans une autre affaire concernant le vol des bébés d’opposants politiques, mis en place entre 1976 et 1983. Les mères étaient assassinées après l’accouchement et les enfants adoptés sous une fausse identité.En 2010, Bergoglio affirmait qu’il ne savait rien de ces enlèvements. Il est pourtant accusé de n’avoir pas porté secours à une jeune femme enceinte de cinq mois au moment de son arrestation, dont l’enfant, né en captivité, avait été adopté. Une note rédigée à l’époque par un de ses subordonnés,précisant que le bébé avait été confié à une famille «trop importante » pour annuler l’adoption, prouve le contraire. Les documents reçus par le tribunal oral fédéral n° 6 révèlent que dès 1979, Jorge Bergoglio était au courant pour au moins un cas.

Ceux qui présentent aujourd’hui Jorge Bergoglio comme un homme simple,habillé comme un simple prêtre et prenant les transports en commun, ont semble-t-il oublié que l’ancien Provincial des jésuites combattait la ligne d’ouverture du maître général des jésuites, le Père Arrupe. Une ligne de soutien aux jésuites engagés dans la résistance aux dictatures latino-américaines. L’austérité apparente et le profil bas adoptés par le cardinal-archevêque de Buenos Aires apparaissent bien davantage comme une tentative d’effacer un passé trouble et d’offrir un profil de bon pasteur. La réalité est tout autre et bien au-delà du passé de Joseph Ratzinger au sein des jeunesses hitlériennes et dépasse peut-être les silences de Pie XII au moment du génocide nazi. Proche des pauvres prétendent certains…Au cours des quinze années passées à la tête de l’archevêché de Buenos Aires, Bergoglio a tenté d’unir l’opposition contre le premier gouvernement qui avait depuis longtemps adopté une politique favorable aux couches populaires. Mais échappe-t-on à un passé aussi compromettant,toujours présent dans la mémoire des Argentins ? Beaucoup de militaires ont été condamnés, dont l’officier responsable de la disparition des deux religieuses françaises, Alice Domon et et Léonie Duquet,mais nombreux sont encore ceux qui ont échappé à la justice. Quelques heures après l’élection du nouveau pape, un graffiti apparaissait sur mur proche de la cathédrale de Buenos aires : « Le pape est un ami de Videla. » Peu après, alors qu’on s’apprêtait à fêter le choix d’un pape argentin, des militants des droits de l’homme manifestaient leur indignation dans la soirée du mercredi 13 mars. Dans un pays où les trois quarts des habitants se disent catholiques, l’influence de l’Eglise s’est considérablement affaiblie.Et sans doute risque-t-elle ici aussi de prendre un nouveau recul, après une élection sans doute la plus controversée de toute l’histoire de la papauté.

A lire également, et on ne peut soupçonner Courrier International d’être un repère de gauchistes anti-cléricaux:

http://www.legrandsoir.info/bergoglio-a-participe-au-silence-complice-de-l-eglise-avec-la-dictature-genocidaire.html

http://www.courrierinternational.com/article/2013/03/14/jorge-bergoglio-n-est-pas-le-pape-des-pauvres

et aussi: http://pellet.blog.tdg.ch/archive/2013/03/13/les-secrets-de-bergoglio-et-de-massera.html  (un des blogs de la Tribune de Genève)

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