Le Hellfest 2015 m’a permis de revoir un artiste que je suis depuis longtemps, le chanteur de Zuul FX, Steeve PETIT qui nous parle de l’évolution de son groupe, de son DVD, de la tournée au Japon et de la vie en tant qu’artiste.
Bonjour Steeve et merci de m’accorder cette interview en plein milieu d’un Hellfest des plus passionnant.
Ça fait 2 ans qu’on ne s’est pas vu, depuis la sortie de POP REDEMPTION, peux-tu me résumer ces 2 années, en sachant que pour toi, elles ont été mouvementées entre les voyages au Japon et le changement de line-up?
Oui c’est vrai, il y a eu un changement de line-up pour des raisons très simples, les mecs étaient moins motivés, ils avaient d’autres projets musicaux et de vies.
Être dans un groupe, c’est énormément de boulot et si tu ne peux plus suivre, il vaut mieux arrêter et faire autre chose.
C’était la fin d’un cycle peut être?
Exactement, envie de faire autre chose et puis moi, j’aspire à des choses avec Zuul FX qui n’entraient pas dans l’esprit des autres membres de l’époque.
C’est quand même mon projet et je sais exactement où je veux mener les choses. Et, en ce moment, c’est ce qui se passe. J’emmène le groupe là où je veux et c’est génial.
Un nouveau line-up qui fonctionne très très bien et j’en suis très fier.
Quels sont tes objectifs avec Zuul FX?
C’est de faire des choses qui ont de plus en plus d’envergure comme par exemple remonter un peu sur l’affiche du Hellfest.
On est dans une autre dynamique, on a des sponsors pour la première fois.
Il y a une sorte d’effervescence autour de Zuul FX qui est intéressante. On leur a fait écouter nos nouvelles maquettes qu’ils ont adorées.
Ça récompense ma persévérance.
C’est un groupe qui dure avec 10 ans de carrière, votre DVD live résume ça?
Oui, ça fait 10 ans, mais tu veux savoir un truc, j’ai l’impression qu’on est en train de démarrer en fait.
Tu sais, le Japon nous a vraiment apprit beaucoup de choses. C’est comme si avant on n’avait jamais réellement démarré.
Donc, le DVD live qu’on vient de sortir c’est les 10 ans de Zuul FX contractés, avec des vieux trucs. On a fait les fonds de tiroirs. On a une partie CD audio et une partie DVD. Sur la partie CD audio, tu as le live, des parties audio complètement inédites et des trucs complètement insane parce que c’est insupportable tellement c’est bizarre, pourtant ce sont les premières démos de morceaux que l’on joue encore et qui ont du succès. Ils avaient une autre gueule à l’époque, c’était le début de la MAO (NDLR: musique assistée par ordinateur). Mais je me suis dit, on tente le tout pour le tout, il faut assumer ce que l’on a fait quand on a commencé.
C’est pourquoi ce DVD est un truc collector car voilà, ça représente les 10 ans.
Comment t’est venue l’idée du Japon?
Le Japon, c’est un rêve pour tous les musiciens de pouvoir le faire.
L’idée est venue de manière toute conne : j’ai monté un site de merch en ligne de Zuul FX et en fait, tout partait au Japon et on s’est demandé pourquoi.
Il y a des années en arrière quand j’étais chez XIII Bis records, j’avais reçu un mail du Japon d’un mec qui disait être un grand fan de Zuul FX. Il travaillait dans une prod, avait un label et voulait distribuer Zuul FX. J’avais balancé ça au label qui à l’époque n’avait pas voulu le faire. Mais lui a continué de parler de nous.
Du coup, maintenant que je suis devenu producteur, j’ai monté mon label, j’ai monté mon agence de booking. Ce qui fait qu’aujourd’hui, je pars où je veux et je fais ce que je veux.
Qu’est ce que le Japon a de plus que la France?
Je vais t’expliquer ce qui nous a fait bizarre. Au moment de partir au Japon la première fois, on a fait une photo à l’aéroport, genre: « on part au Japon les gars, c’est super ». On met ça sur nos Facebooks et nous, on ne réfléchit pas trop sur l’impact que ça peut avoir. On le fait, on le met sur nos profils, ça nous fait plaisir. Mais ce qui est rigolo c’est que 15 heures après, on est arrivé au Japon, on est sorti de l’aéroport, et il y avait des fans avec la photos qu’on avait faite juste avant de décoller. Ils l’avaient imprimée et ils demandaient des autographes. Et tu te demandes « mais comment ont-ils su quand on arrivait ? », car on n’avait pas mis nos billets d’avion.
Deuxième tournée, on se fait paparazziter dans les rues de Tokyo et ça passe sur les sites Twitter et autres, partout ! Et on se dit « merde, qu’est ce qui se passe ? ».
On n’a jamais eu ça avec Zuul FX avant. En France, on fait nos petites tournées, on fait très peu de dates. On fait des tournées à l’étranger avec Pro Pain, et avec des groupes de punk.
L’ouverture du samedi c’est très bien passée, il y avait énormément de monde
C’est vrai, il y avait énormément de personnes. Je ne m’attendais pas à ça. Pour l’horaire c’était impressionnant, jusqu’à la régie, c’était blindé.
Donc, il y a une demande. Je suis allé prendre la température dans le public et même par rapport à la première fois où l’on était venu, on n’a jamais eu autant de succès que là.
Va savoir pourquoi, c’est la question mais j’y vois aussi la récompense de la persévérance et du travail.
Tu as utilisé la légitimité que t’a apporté le Japon pour justifier la place de ton groupe sur cette affiche
La dernière fois, on est venu par notre label. Aujourd’hui, c’est moi qui est fait en sorte que l’on soit sur cette affiche via ma boite. C’est une autre dynamique finalement. Je suis très fier d’être là, de faire cette interview avec toi, faire le show ici et d’aller rencontrer pleins de gens, revoir de vieux potes, ça fait du bien
Est-ce que tu penses que la France à tendance à être aveugle devant ses talents?
Chez nous, on boude nos groupes mais c’est un peu pareil dans tous les pays à part l’Allemagne, bizarrement. Tu vois au Summer Breeze, les 3/4 des groupes sont des groupes allemands.
Je ne pense pas que si le Hellfest proposait une affiche 100% française il aurait le même succès .
En France, on boude les groupes français, ce qui nous donne envie de partir à l’étranger. Mais on aime la France bien sûr. J’aime la France, je suis un des premier à défendre mon pays. La France, ce n’est pas le fer de lance du métal. Malgré tout, un mec comme Ben BARBAUD fait le change. Le Hellfest est le premier festival de métal de France, voir d’Europe. Le Hellfest, c’est devenu la référence du métal aujourd’hui.
Pour revenir à la France, on a vraiment du mal à développer des groupes. Mais en même temps, les groupes manquent aussi vachement de professionnalisme. Les groupes essayent au maximum de faire le plus pro possible mais à un moment, il faut plus.
Je vais faire un parallèle avec les sportifs qui disent : « je bosse telle partie de mon corps uniquement » en laissant des muscles de coté, c’est pareil avec les musiciens. Ils laissent toujours un truc de coté. Alors que les groupes, par exemple américains, comme ils n’ont que ça pour bouffer, ils vont bosser le truc à 100%.
Chez nous, on peut être intermittent du spectacle. Si on ne veut rien branler durant 8 mois, on peut le faire. Et des gens le font, c’est complètement lamentable! Moi, personnellement, je suis intermittent du spectacle, je bosse à fond, en continu, je ne m’arrête jamais, à saouler mon entourage en étant peu disponible. Je ne m’arrête jamais, ce qui me permet aujourd’hui de bosser avec Luc BESSON dans le cinéma. Le dernier film sur lequel j’ai bossé avec, c’était TAKEN 3, avant c’était 3 DAYS TO KILL et encore avant je bossais sur POP REDEMPTION avec studio canal. Je fais ça, je fais mes passions, j’ai Zuul FX qui est ma priorité. Je fais toutes les choses qui me passionnent depuis 20 ans.
Je suis fier de toucher à plein de choses. C’est un peu comme avec Alexandre ASTIER qui est un peu plus extrême que moi, parce qu’à partir du moment où il a fait un truc sur scène par exemple, le jour même il en a déjà ras le bol.
Je suis un peu pareil, j’aimerais sortir de nouveaux morceaux mais y a des histoires de maisons de disques, de business. Là, j’ai ma maison de disques. Mon nouvel album est tellement gros, tellement énorme, j’ai taffé comme un taré dessus, que je vais tenter de signer ça chez des labels beaucoup plus importants.
Vu le retour que tu as du Japon, ça semble le justifier, le Japon étant un marché énorme.
Le Japon est un marché énorme. On est parti avec notre merchandising complètement à l’arrache dans nos sacs, en se disant c’est le début. On est revenu, on avait plus rien. Les mecs voulaient même nos propres tee-shirts. Ils nous ont même offert des trucs comme des bijoux en argent avec écrit « Zuul FX » et incrustés de têtes de mort.
Le retour en France n’a pas été de ce fait trop dur?
On est habitué. Oui, ça fait un choc de culture, mais ça ne nous dérange pas. Quand on a joué sur la mainstage 2 hier , on a été surpris de voir autant de monde et ça nous plaît toujours autant de jouer en France. On ne s’attendait pas à ça. On était prêt pour faire une grosse scène même si le line-up est plus jeune, ils ont ça dans le bide. Ils ont d’autres projets à coté, des groupes de ouf et tout. Mais tu sens qu’ils sont demandeurs.
La vie prend souvent le pas sur la musique
On change de dynamique après un certain âge. Je suis plus sur une dynamique de travail. On a moins les délires d’ados, le délire avec les groupies etc. On ne voit pas les choses de la même manière à partir d’un certain âge, ça fait plus de 20 ans que je fais de la zic. Mais la nouvelle génération, comme le batteur et le bassiste, peut devenir une grande génération de musiciens. Le mélange des générations leur permet de ne pas faire nos erreurs. On les met sur les rails, on les met en garde et ça se voit : ils arrivent à monter leur business, ils se font endorser par des marques rapidement, ils ont une démarche professionnelle. Bien sur, ils ont leurs rêves d’ados, mais avec une dynamique de types qui veulent réussir.
Le problème en France, c’est que le management n’est pas considéré comme un vrai métier. Ils sont vu, bizarrement, comme des salopards. Mais on en a besoin de types qui jouent le rôle de salopard. J’ai mon technicien de plateau qui gère très bien son truc mais c’est le salopard. On a monté notre business ensemble et il est mon porte-parole sur le plateau. De plus, le fait d’avoir de la bouteille et une attitude professionnelle permet de nous imposer et d’obtenir ce dont on a besoin sur des concerts ou des fests.
Ce qui manque en France, ce sont de vraies structures avec de vrais labels, des mecs qui veulent défendre et qui veulent développer des groupes. Tout vient de là aussi : les groupes sont pleins de bonnes intentions mais ils ont besoin d’être drivés.
Tu vois un groupe comme Gojira, ils ont percé comme ça. Ils ont trouvé des gens pour les driver, ils ont écouté et maintenant ils font partie des plus grands groupes au monde. Il ne faut pas se leurrer, quand tu es entouré par des passionnés dont c’est le boulot, qui le font bien et qui sont droit, ça avance. Le boulot, ce n’est pas qu’aller boire des bières et se défoncer. Ça, ça s’appelle se faire plaisir. Mais le boulot c’est pas ça. Tu ne vas pas à ton taf complètement déchiré sinon ça ne dure pas longtemps.
En France, on manque de vraies structures. J’ai souffert de ça, je ne bossais qu’avec des intermédiaires.
Tu vois, si tu veux bosser avec Alexandre ASTIER, tu bosses avec Alexandre ASTIER, tu ne passes pas par des intermédiaires. Le boulot se fait en famille chez eux et c’est une très belle leçon d’apprendre comment ça fonctionne. Il n’y a pas des millions d’intermédiaires, tu es ton propre patron, il faut le vivre comme ça et aller travailler directement avec les gens qui connaissent le boulot.
Moi par exemple, pour aller au Hellfest, j’ai appelé Ben BARBAUD. Il m’a répondu : « Bien sur Steeve, pas de souci, tu verras avec mes gars. Mainstage, ça te va? ». Au départ on devait jouer à 14h30, puis ça a été bougé à 10h30. Je ne vais pas faire la fine bouche.
On l’a fait, les gens sont venus. On est vraiment heureux, je suis hyper serein.
Si aujourd’hui beaucoup font de la musique par passion en France, a t-elle besoin de se professionnaliser selon toi?
Mais même pour les instrument ! Là, on s’est fait endorser et on voit beaucoup de personnes qui représentent des marques et dont ce n’est pas l’activité professionnelle principale.
Aujourd’hui, ceux qui bossent dans le milieu du métal, c’est par passion, pas par profession. Mais grâce au Hellfest, il y a des métiers qui sont en train d’émerger en France.
Est-ce qu’en France, on ne sous estime pas l’importance de l’engagement qu’est d’exercer un métier artistique en catégorisant les artistes comme des ados attardés ou des branleurs?
La plupart de mes potes d’enfance ne comprennent pas que je fasse encore ça. Il y a 10 ans, ils ne comprenaient pas. Il y a 5 ans, ils se disaient que quand même, j’avançais. Aujourd’hui, à la veille de mes 40 ans, ils voient les personnes avec qui je travaille, ils voient comment les choses se passent pour moi et ils sont contents pour moi.
Même ma mère, il y a 10 ans, me demandait quand je trouverai un vrai métier pourtant, je gagnais ma vie et je déclarais alors le double de ses revenus.
Aujourd’hui, tout va bien pour moi, je crée plein de choses, je fonde une famille, ce qui fait que ma famille voit les choses plutôt sereinement.
Que penses-tu du statut des intermittents du spectacle ?
J’ai peur qu’en France, à cause de ce statut, on ne sache plus faire si tout d’un coup il disparaissait. On se retrouverait avec des bénévoles partout et avec des gens qui monteraient leur boite. Aux États-Unis, ça marche très bien. Je suis à un point aujourd’hui où l’intermittence, c’est quelque chose qui me bloque. Du coup je passe à autre chose, je deviens producteur. De ce fait, je sais pourquoi je me lève tous les jours. Je ne me demande pas tous les jours quel boulot je vais réussir à chopper. Je ne crache pas sur l’intermittence, toutes les personnes avec qui je bosse sont intermittents. C’est bien pour eux, ça leur permet d’avoir leur statut et de pouvoir faire des choses. Il ne faut pas oublier que le statut d’intermittent à permis à certains artistes de s’élever. Ils ont pu tenter sans se ruiner, comme beaucoup d’américains font. Et encore, les américains ont la possibilité de faire des crédits qui peuvent endetter leur famille sur plusieurs générations.
Ça nous permet d’avoir une structure plus stable que dans beaucoup de pays.
Tant que ça fonctionne, tant mieux. Mais je veux dire aux jeunes de ne pas perdre leur objectif. Au bout d’un moment je devais trouver un boulot, pour faire mes heures, ça devenait compliqué. Aujourd’hui, je n’ai plus cette démarche la, ce qui me permet d’être plus sensible à ce que je dois faire tous les jours, à être plus concentré sur mes objectifs et ne plus être parasité par ce qui gravite autour.
Mon nouveau line-up a une optique complètement différente. Les mecs sont là pour faire avancer le groupe. J’ai réussi à professionnaliser Zuul FX, c’est une charnière, on verra où ça va mener. Là, le DVD va sortir. Ça fait plus de 10 ans que le groupe existe. J’ai fait une rétrospective de tout ce que j’ai vécu avec Zuul FX. Cet album, on verra bien, ça sera un tournant musical pour le groupe. Là, y a que moi qui compose.
Tu assumes ton statut de dictateur?
Je suis un dictateur, complètement, mais tous les groupes sont des dictatures. Si les gens pensent qu’un groupe peut progresser en étant une démocratie, qu’ils continuent à jouer dans leur cave entre eux. Il n’y a jamais eu de débats d’idées à 4 ou à 5 car ça n’avance pas. Il y a toujours une personne qui n’est pas d’accord. Donc c’est moi qui prend les décisions. C’est moi qui emmène les gens, mais en étant dictateur. Ce n’est pas si simple que ça dans le sens où les échecs sont mes échecs et que j’en porte toute la responsabilité.
J’ai une vision de la chose à la japonaise : je dois faire les choses à fond et le mieux que je le puisse, sinon j’en porte toute la responsabilité. Il n’y a que blanc ou noir, et en cas d’échec c’est hara-kiri.
La musique, c’est 80 % de business et 20 % de musique. J’essaye de me positionner du coté le plus artistique possible pour avoir la tête le moins possible dans le business.
Steeve, je vais te dire au revoir car nos 10 min d’interview se sont transformées en une demi heure. Je te dis à bientôt à LYON, en direct dans Good Evening Lyon en septembre.