Spectaculaire

émission à caractère culturel (un peu mais pas trop quand même) les mercredi de 14h à 15h

hier et aujourd’hui par Ostermeier : « le professeur Bernardi » aux Célestins

Posté le | lun 17 Juin 2019 | Aucun commentaire

[compte-rendu aussi intéressant que mis en ligne tardivement, la faute au modérateur du blog…]

La pièce Professeur Bernhardi (Arthur Schnitzler, 1912 ; texte édité chez Actes Sud) [donnée au théâtre des Célestins du mercredi 2 au dimanche 6 mai 2018] est de grande qualité : du « Ostermeier » – la mise en scène sobre mais subtile, le jeu précis et naturel des comédiens nous donnent l’illusion de plonger dans le texte – et rien d’autre ! J’avais déjà eu l’occasion d’apprécier des mises en scène de pièces d’auteurs scandinaves (milieu bourgeois, relations conflictuelles, tensions, analyse psychologique… comme ici) et d’en apprécier cet aspect : Ostermeier ne rajoute rien, il ne fait pas dans la surenchère, la surinterprétation et la lourdeur de certains metteurs en scène.

Je pense que la pièce illustre bien le travail d’Ostermeier dans l’ensemble : la revendication d’un réalisme narratif (qu’il défend contre un théâtre postmoderne, déconstructeur), d’un engagement, l’ambivalence (défense de la démocratie, de ses institutions pour améliorer le monde mais aussi penchant pour une certaine forme d’anarchie et de rébellion, et là je pense à certains personnages de la pièce – et surtout au professeur Bernhardi – car certes, il est victime de ses origines juives – origines, car il agit comme scientifique, homme des Lumières non comme représentant d’une pensée juive ou du judaïsme – mais il est aussi victime (??) de sa conduite « juste », notamment dans la toute dernière scène).

Le sujet de la pièce (l’antisémitisme, le populisme, la désolidarisation) prend un écho particulier en ce moment [en mai 2018, NDLR] : une vidéo sur internet a mis en émoi l’opinion publique en Allemagne, un jeune musulman ayant agressé un étudiant juif dans la rue (il portait une kippa) en le fouettant avec une ceinture et en le traitant de « juif » en arabe. Les médias ont relancé le débat sur l’antisémitisme d’extrême droite d’une part et de certains musulmans d’autre part – et donc sur la façon dont devait être abordée le passé nazi. Le metteur en scène Thomas Ostermeier s’est également emparé d’un sujet politique particulièrement préoccupant : la montée du populisme, l’utilisation du racisme et des scandales dans le jeu politique. L’auteur Arthur Schnitzler nous livre un tableau réaliste et une fine analyse de la société autrichienne de la Première République, à savoir ici, la bourgeoisie (médecins et politiques) catholique et juive « assimilée ». Il pointe les antagonistes, les clivages et la perte des valeurs avec le triomphe du mouvement völkisch. Si le professeur Bernhardi dénonce l’odieux chantage dont il est victime, ses adversaires s’étonnent qu’on puisse qualifier leur action de marchandage… C’est le triomphe de la pensée criminelle et du cynisme contre les valeurs, la vérité et la justice. Mais c’est aussi le triomphe de l’indifférence, du désengagement, comme le déclare Bernhardi : « celui qui n’est pas pour moi , est contre moi« . L’indifférence, l’opportunisme, le racisme sont dénoncés par Schnitzler ; ils le sont aussi par Ostermeier. Le décor, les acteurs sont contemporains : c’est le monde d’aujourd’hui, la réalité sociale et politique d’aujourd’hui – et c’ est pourtant encore le monde « d’hier » – pour reprendre les mots de Stefan Zweig -, le monde de Schnitzler. C’est le grand mérite d’Ostermeier : saisir pour nous l’essentiel, l’essence (?) des grandes œuvres qu’il choisit de monter.

Mais ce sentiment de « contemporanéité » ne tient pas que du seul sujet, de la réalité sociale et politique mais surtout – et c’est certainement là l’essentiel – de l’analyse psychologique des personnages, de ces » masques qui tombent » au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire (je parlais en effet de tableau réaliste, de fine analyse). Ostermeier, les comédiens ont su remarquablement interpréter et donner aux analyses psychologiques du médecin et connaisseur de l’âme humaine qu’était Schnitzler toute leur épaisseur. Ils ont su également rendre l’esprit de la pièce (qualifiée de « Comédie » par Schnitzler) : l’équilibre entre gravité et humour, pessimisme et optimisme (encore des ambivalences !). L’humour n’est pas là pour nous faire supporter l’insupportable, l’intolérable (nous savons ce que Schnitzler ne pouvait pas savoir). Non, c’est cette mise à nu de l’âme humaine, le fait de la rendre intelligible qui nous procure quelque espoir. C’est le choix, certainement, d’Ostermeier : raconter des histoires, narrer, observer les hommes et nous les donner à observer.

E.F.

 

Professor Bernhardi

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