Spectaculaire

émission à caractère culturel (un peu mais pas trop quand même) les mercredi de 14h à 15h

Pommerat au TNP : révolution sur la place Lazare-Goujon

Posté le | jeu 21 Jan 2016 | Commentaires fermés sur Pommerat au TNP : révolution sur la place Lazare-Goujon

À défaut d’avoir été lu à l’antenne dans l’émission du mercredi 20 janvier (déjà consacrée à du théâtre avec En attendant Godot à la Croix-Rousse et Quartett aux Célestins !) – mais, promis, rendez-vous est pris : cela sera fait sans faute le mercredi 27 ! -, voici le compte-rendu de Goulven (pas tout seul : vous allez voir !) !

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Un spectacle à perdre la tête, ou la révolution française en immersion : Ça ira (1) : fin de Louis de Joël Pommerat

Lorsque je ne rédige pas des comptes rendus de spectacles pour Radio Canut, j’enseigne la littérature… et à ce titre, mercredi 13 janvier, j’ai emmené une classe au TNP, pour assister à Ça ira (1) : fin de Louis, la dernière création de Joël Pommerat et de sa compagnie Louis Brouillard.

La Compagnie est bien connue des spectateurs du TNP puisque, depuis 2009, elle y a proposé, avec un succès renouvelé, Les Marchands, Je tremble 1 et 2, puis Ma Chambre froide. Ça ira (1) repose sur les mêmes procédés que ces précédents spectacles.

L’écriture, d’abord, est le fruit d’une élaboration collective dans laquelle la scène précède le texte : la pièce s’élabore au fil du travail de plateau, de concert avec les comédiens ; l’heure de la publication sonne(ra) une fois que les représentations (aur)ont eu lieu.

La mise en scène, ensuite, se joue à la frontière entre le théâtre proprement dit et le cinéma. Tous les acteurs parlent à travers des micros, des micros disposés à même le plateau mais aussi cachés dans leurs costumes. Les voix ainsi captées et les séquences musicales nous sont renvoyées dans des haut-parleurs disséminés un peu partout dans la salle.

À ce travail extrêmement poussé sur le son vient s’ajouter un travail singulier sur le rythme. Comme nombre de ses contemporains, Pommerat renonce à la subdivision de la pièce en actes et en scènes : l’avancée de l’histoire repose sur l’enchaînement de séquences. Deux séquences sont séparées par un “fondu au noir” : la salle est plongée dans la pénombre pendant que les acteurs et les techniciens font évoluer le décor ; les lumières se rallument sur un paysage scénique neuf.

L’association des deux techniques, des micros et des “fondus au noir”, produit des effets prodigieux. Le spectateur a l’impression d’être au cinéma, mais dans un film en trois dimensions dont les acteurs seraient vivants. Depuis l’Antiquité et jusqu’à la fin du XXe siècle, le théâtre a joué ou bien de l’identification, ou bien de la distanciation du public. Le génie de Pommerat, c’est d’inventer, dans le sillage d’Ariane Mnouchkine, un dispositif d’immersion. Nous sommes, spectateurs, véritablement plongés dans le monde de la fiction.

Nous en sommes mêmes partie prenante, puisque le monde représenté renvoie à la page la plus fameuse de notre histoire collective – à la Révolution. Au fil de quatre heures trente de spectacle qu’on ne voit pas passer, Ça ira met en scène les événements politiques qui se succèdent entre la convocation des États généraux, au printemps de l’année 1789, et le transfert du couple royal de Versailles à Paris, à l’automne de la même année.

En l’espace de quelques mois, Louis XVI voit progressivement son pouvoir se vider de sa substance. Le roi, qu’incarne un excellent Yvain Juillard, se montre à la fois dépassé, stupéfait et hébété par le cours des choses. Sa douceur débonnaire, qui cache une faiblesse insondable, ne peut se résoudre ni à une réaction autoritaire, ni à une approbation franche. Le cul entre deux chaises dans un monde qui va trop vite pour lui, le monarque vacille logiquement sur son trône. Pas à pas, il se fait déposséder de ses prérogatives. Le spectacle est fascinant parce qu’il nous met ainsi sous les yeux, et dans les oreilles, l’histoire en train de se (dé)faire.

À la chute graduelle du roi correspond la montée en puissance de l’assemblée du tiers état, qui ne tarde pas à se constituer en « assemblée nationale ». Les gradins de la salle deviennent, dans le fabuleux dispositif immersif de Pommerat, les travées de l’assemblée. Tel est le coup de force du spectacle : nous sommes les députés ! Certains spectateurs se prennent d’ailleurs au jeu, en unissant leurs voix à celles des comédiens qui, judicieusement, ont été répartis dans la salle pour “mettre l’ambiance”. Les séquences parlementaires sont fantastiques : les acteurs, qui ont sauté la rampe pour s’installer parmi nous, discutent vivement ; ils s’interpellent, s’invectivent voire s’insultent, au fil de palabres aussi enfiévrées que savoureuses. Dans une telle configuration, il est impossible de ne pas se sentir directement concerné et happé par les débats !

La force de Ça ira est aussi de nous faire sentir, au-delà du huis clos de l’assemblée, la force croissante de la contrainte populaire. La cour de Versailles, où siègent jusqu’en octobre 1789 à la fois Louis XVI et l’assemblée, se trouve contestée par la ville de Paris. Plus le temps va, plus la crise alimentaire fait rage, et moins le peuple de la capitale accepte de se montrer patient. Des coulisses nous viennent des bruits de canon ou de la fumée. Des coulisses qui représentent cette grande ville menaçante, et jusqu’au bureau du président de l’assemblée nationale, arrivent encore les dépêches, qui égrènent “en différé” l’avancée des événements révolutionnaires. À la fin de la pièce, sous la pression, l’assemblée et surtout le roi déménagent à Paris. Une nouvelle phase de la Révolution s’ouvre, qui sera certainement au cœur d’un Ça ira (2) !

L’intérêt du spectacle ne se réduit pourtant pas à ce qui serait une belle reconstitution historique. Il va beaucoup plus loin. On comprend immédiatement que l’histoire qui nous est montrée ne se conjugue pas au passé mais au présent, voire au futur.

Les comédiens sont en effet habillés à la mode de 2016, et ils parlent avec les mots d’aujourd’hui. La Bastille est rebaptisée « prison centrale », l’« abolition des privilèges » lors de la nuit du 4 août devient « suppression des avantages fiscaux ». La pièce est, plus généralement, truffée d’anachronismes contrôlés, souvent vecteurs du comique. L’ouverture des états généraux est ainsi commentée, en direct live, par une présentatrice de la télévision espagnole, qui sera d’ailleurs molestée par un député du tiers état quelque peu véhément… Cette séquence burlesque dénonce d’un même mouvement le faste pompeux des cérémonies officielles et la futilité des médias, qui relèvent d’une forme de théâtralité frelatée.

Mais ce qui se noue dans ces procédés d’actualisation, c’est aussi et surtout une réflexion politique sur notre présente condition. À voir le spectacle, on ne peut qu’être frappé par les similitudes entre la crise de la fin des années 1780 et la nôtre. Dans les deux cas, le marasme économique va de pair avec une dette publique insoutenable, laquelle révèle en dernier ressort l’accaparement du pouvoir et des richesses par une minorité de privilégiés. Les solutions qui ont été apportées à la crise, à partir de 1789, sont encore les options qui s’offrent à nous. Les positionnements d’hier restent ceux d’aujourd’hui, car nous continuons de vivre dans l’histoire qui s’est ouverte à la Révolution. Les nobles et le député Gigart représentent l’éventualité, totalement assumée dans le premier cas, légèrement plus complexée dans le second, du retour à l’Ancien Régime : FN et UMP, alias LR. Le député Carray, qui tente de jouer les médiateurs entre les partis opposés, tout en disant son espoir de rassurer les milieux financiers, incarne la voie centriste : UDI, Modem, aile droite du PS. Le député Possion-Laville, épris de grands principes et habité par les droits de l’homme, au risque d’oublier ou de faire oublier les inégalités concrètes, rappelle les discours de certains caciques du PS. La députée Lefranc, qui évoque Robespierre ou Mélenchon, critique les susnommés au nom de la justice sociale, mais elle se verra reprocher, par le peuple de Paris, ses compromissions avec les pouvoirs établis.

Aucun de ces principaux intervenants n’est caricaturé. Les discours des uns et des autres, imaginés sur la foi d’une dense documentation archivistique, peuvent espérer nous convaincre à un moment ou à un autre de la pièce, et l’on ressort de Ça ira (1) en se demandant de quel côté l’on aurait basculé, ou plutôt, tant cette pièce semble relever de l’anticipation, de quel côté l’on penchera. Lorsqu’Athènes a inventé le théâtre, il y a de cela vingt-cinq siècles, le lieu du spectacle était aussi celui de l’assemblée politique. Pommerat nous rappelle à cette alliance – mais avec quelle intensité !

La force artistique, historique et politique de la pièce était telle que je suis retourné la voir, trois jours après, au TNP ! Le mercredi 13, et il ne fallait pas être superstitieux, j’étais assis au 13ème rang. Le samedi 16, j’étais assis au premier rang de face. La perception du spectacle change très largement. Placé au milieu du dispositif, j’ai été très sensible à l’effet de foule : on a l’impression de voir défiler des dizaines et des dizaines de personnes sur la scène, même si l’on sait qu’un même acteur joue plusieurs rôles. Au premier rang, j’ai admiré encore un peu plus la virtuosité des acteurs-caméléons : on peut constater qu’un même acteur joue jusqu’à sept personnages différents ! Le passage d’un rôle à l’autre ménage des correspondances et des échos subtils, voire cocasses. Un acteur, Simon Verjans, joue ainsi tous les rôles de colériques et, qu’il incarne un homme du peuple, un député ou un noble, il finit toujours par sauter à la gorge de ses interlocuteurs. Anne Rotger, quant à elle, joue une Parisienne qui implore Louis XVI, en lui sautant au cou, de quitter Versailles pour Paris, et de venir à Paris sans la reine tant détestée par le peuple… La requête formulée, l’actrice part en coulisses et revient rapidement en scène… sous les traits de Marie-Antoinette !

Du premier rang, on voit également de très près les nombreuses empoignades et disputes physiques, témoignages d’un temps où l’engagement se vivait toujours de manière très concrète !

La soirée a été fort appréciée de mes élèves. La plupart ont même été sidérés et subjugués par la “patte” de Joël Pommerat. Laissons-leur la parole !

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Entre révolution française et époque contemporaine, il y a qu’un pas, et ce pas dure 4h30.

4h30 qui peuvent paraître effrayantes, plongées dans une reconstitution actuelle de 1789, sous un angle inhabituel. Notre point de vue est celui de l’assemblée nationale ou du roi. Débats, accord, mécontentement : à travers des petits dialogues, et à l’aide d’acteurs exceptionnels, qui jouent plusieurs rôles à la fois, Joël Pommerat arrive à nous faire passer par tous les états émotionnels.

La pièce est très vivante. Tout est mis en scène pour que figurants, acteurs et spectateurs se confondent. La salle tout entière devient la scène. Depuis le commencement des états généraux en mai 1789 jusqu’en octobre de la même année, tout le monde devient député. Aucune morale, mais la confrontation des idées, dans un parallèle entre cette époque et la nôtre.

Une seule question vous taraude en sortant de la salle : quel camp auriez-vous choisi ?

Margot

 

N’étant pas amateur de théâtre, c’est plein de préjugés que je me rends au TNP. Ça ira (1) : fin de Louis est une pièce captivante qui a rapidement su me faire changer d’avis. Loin de la reconstitution historique, Pommerat a réalisé une pièce moderne et intemporelle qui implique ses spectateurs au plus haut point. Faisant partie de l’assemblée, le spectateur s’intègre aux débats enflammés des comédiens, plus convaincants les uns que les autres. Les événements de la Révolution sont racontés sans références directes, mais une chose est sûre : pour Louis, le compte à rebours final est lancé !

Ça ira (1) : fin de Louis est une longue pièce sans pour autant être ennuyeuse, parsemée d’humour et de débats actuels : elle a tout pour être qualifiée d’excellente.

Nicolas

 

Surprenant. Atypique. Unique. Ces mots sont ceux qui me viennent à l’esprit pour décrire la dernière pièce de Joël Pommerat. Une expérience théâtrale à part entière en rupture avec les principes traditionnels du théâtre, à commencer par une immersion totale de l’audience dans le spectacle. On se retrouve projetés dans le 18ème siècle : la légitimité de la monarchie est au centre des débats de la toute jeune Assemblée Nationale, qui annonce la Révolution Française, tout cela en l’espace de 4h30.

C’est un spectacle particulièrement long sur le papier, mais il ne l’est pas en réalité. En effet, grâce à la mise en scène, le spectacle est constamment vivant, les acteurs s’enchaînent, quelques touches humoristiques s’ajoutent, sans aucun flottement.

In fine, Ça ira (1)…Fin de Louis est une pièce qui vaut le détour, qui laisse le spectateur déboussolé s’interroger sur le combat d’une population pour ses droits et devoirs, un sujet paradoxalement toujours d’actualité.

Laura

 

La chose qui m’a le plus marqué et très agréablement surpris est la proximité entre acteurs et spectateurs, nous avions l’impression de faire partie de la scène. De plus, le jeu des comédiens, que ce soit dans leur talent d’orateur, leur prestance ou leur jeu de rôle, était absolument remarquable. S’il y avait une suite, il serait très intéressant d’y assister…

Florian

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